Episode 6

Promenade au Clair de Lune

Laissez-moi vous conter une histoire, banale diraient certains importuns. Laissez-moi vous présenter le pinacle de la procrastination, interprétée par un professionnel du domaine. Laissez-moi vous narrer l’aventure d’un jeune développeur passionné, fervent consommateur de musique romantique. Voici l’histoire d’un programmeur, qui a codé perché en haut d’un rocher, observant la marée, par une nuit tempérée.

Cette épopée commence un Mercredi aux alentours de 15h. Notre (z)héros a été rappelé à l’ordre par son collègue : il n’avait pas rendu son travail, l’évaluation étant le lendemain. Voilà plus d’une semaine que cette tâche était fixée, mais toujours pas réalisée. Qu’à celà ne tienne, elle ne devrait pas excéder deux heures, et il lui restait 24 heures. Et puis, il faut dire qu’il était très occupé ! Entre séries, films, musique et écriture, il s’y mettrait à 19 heures.

Seulement voilà, l’heure approchait et la failm l’imitait. Il était alors l’heure de manger, et pour cela il fallait cuisiner. Quelques légumes lentement revenus au beurre, une tranche de foie de porc, et un verre de vin pour accompagner. Voilà de quoi s’occuper pour au moins 45 minutes. L’assiette enfin prête, elle fut dégustée face à une conférence TED. Une vidéo en appelant une autre, voici notre jeune développeur reparti pour une deuxième conférence.

Sur ces entrefaites sonnait 20:30, et déjà il est possible de voir l’œuvre d’un procrastinateur accompli. Seulement d’autres exploits étaient encore nécessaire pour passer au rang de procrastinateur aguerri. Et voilà que la poursuite d’un projet personnel s’imposa comme activité prioritaire. Après tout, il ne serait pas très long de terminer le travail à rendre, et il restait encore 16 heures 30 avant la deadline. Quoi qu’il en soit, programmer pour un projet personnel était tellement plus excitant que mener à bien un projet imposé !

Fini les plaisanteries, il est l’heure de se fixer un objectif. A minuit, notre sujet se mettrait au travail, ainsi en avait-il décidé. Eut-il fallu le préciser, ce but ne fut pas accompli. Voici venu 1 heure et rien n’était encore débuté. Seulement voilà, se sentant oppressé, notre audacieux protagoniste sortit se promener. Encore fallait-il se préparer : pull, écharpe/cache-nez, blouson, le voici paré. Seulement une vive insatisfaction se fit ressentir après seulement une dizaine de minutes. Quelque chose manquait : un sentiment d’incomplétude se faisait sentir. La balade fut ainsi interrompue, retour à l’appartement. À ce niveau, voilà atteinte l’étape de procrastinateur aguerri, mais cette aventure était encore loin d’être finie.

Plutôt que de travailler, le brave se mit à méditer. Travailler dans sa chambre l’étouffait, il fallait donc s’en extirper. La cuisine ? Inappropriée. Ce qu’il souhaitait, c’est un sentiment de liberté. Pourquoi ne pas travailler dehors alors ? Après tout, un ordinateur portable porte bien son nom. L’idée semblait séduisante, encore fallait-il trouver un lieu approprié. En un éclair, un coup de génie surgit ! La souvenance d’un emplacement rêvé par lequel il était passé quelques jours plus tôt. Il n’avait jamais fait le trajet à pied complet, mais était certain de s’en sortir. Une petite estimation du temps de trajet nécessaire : 1h30, voilà qui était excitant. Un sourire carnassier se dessina peu à peu sur le visage du développeur.

Pour une telle expédition, les préparatifs ne sont pas à négliger. Des vêtements chauds, des papiers d’identité, une bouteille d’eau et une tablette de chocolat. Lors de la précédente promenade les lumières articifielles ont été un peu trop intenses, les lunettes teintées étaient donc de rigueur afin de l’adoucir. En dernier détail, une sacoche contenant l’outil principal du codeur : son ordinateur. Il était 1:30 lorsqu’il s’élança sur la route ainsi affublé.

Ce serait une erreur de croire que notre jeune développeur était seul sur la route. Il fut accompagné tour à tour par Beethoven, Bach, Mozart, Saint-Saens, Mendhelsson pour ne citer qu’eux. Il marcha, encore et encore, pour atteindre son but, jusqu’à arriver au commencement d’un petit sentier qui s’enfonçait dans un bosquet. Un changement de lunettes s’imposait du fait de l’absence de lumière artificielle, accompagné par une gorgée d’eau et un carré de chocolat pour se réchauffer quelque peu. Après plusieurs centaines de mètres, il atteignit l’endroit idéal : un rocher au bord de la mer, on apercevait les lumières de la ville au loin, mais pas trop près non plus.

Il serait de bon ton d’imaginer la scène. Un jeune programmeur, emmitouflé dans des couches de vêtements, des mitaines sur les mains, assis sur un rocher face à la mer, éclairé par la lumière blafarde de son écran d’ordinateur. À 3h du matin. Seulement, il fallait avouer que l’endroit n’était guère rassurant, et le silence était régulièrement entrecoupé par ce qui semblait être des canards s’adonnant au coït, ce qui n’était pas pour apaiser notre désormais timoré protagoniste. Effectivement, quelques lignes de code plus tard, l’imagination bouillonnante de celui-ci le conduisit sur le chemin du retour. Il finirait son travail en rentrant, après tout il restait 9 heures 30 avant la deadline.

Accompagné des même alliés sur le chemin du retour, notre cher développeur continua à écrire des lignes de code, dans sa tête cette fois. Jonglant avec les différents modèles et concepts tel un artiste, le code évoluait à mesure qu’il avançait. Une ligne de plus à cet endroit, une ligne de moins là, si absorbé par sa tâche qu’il en oubliait son environnement à l’exception de la tablette de chocolat qu’il tenait à la main. Enfin de retour dans sa chambre, le projet était finalisé. L’intégrité du projet était visible dans son esprit, il ne resterait plus qu’à restranscrire sur l’ordinateur. À 5h30 du matin, après de longues heures de procrastination, le projet était finalement abouti, l’objectif enfin atteint.

C’était l’histoire d’un programmeur passionné, d’un procrastinateur professionnel. C’était l’histoire d’un jeune homme qui s’est retrouvé sur un rocher au milieu d’un bosquet au milieu de la nuit pour travailler. C’était l’histoire d’une promenade au clair de lune.